« Pas de larmes extérieures ! 
Sois le martyr mystérieux ; 
Cache ton âme aux curieux 
Chaque fois que tu les effleures.

Au fond des musiques mineures 
Épanche ton rêve anxieux. 
Pas de larmes extérieures ! 
Sois le martyr mystérieux ;

Tais-toi, jusqu'à ce que tu meures ! 
Le vrai spleen est silencieux 
Et la Conscience a des yeux 
Pour pleurer à toutes les heures ! 
Pas de larmes extérieures ! — » Maurice Rollinat, Douleur Muette

 

Ça tape. A l'intérieur. Ça frappe fort. C'est épuisant. J'ai l'impression d'avoir un orchestre d'opéra et de hard rock dans la tête en même temps. J'ai toujours été habitué aux migraines, depuis mon tout jeune âge, mais si j'écoutais mon instinct je serais resté sous ma couette toute la journée. Les médicaments ne faisaient presque rien et le moindre bruit me donnait envie de frapper sur la source. Or, la fac était le dernier endroit de la planète à être silencieux. Sérieusement, avec tous ces jeunes mâles en chaleur et ces pétasses hurlantes, je n'avais pas vraiment de quoi calmer ma migraine. Seulement j'étais obligé de venir si je voulais réussir mon année. Surtout que si je restais chez moi à chaque migraine que j'avais, je ne viendrais plus du tout en cours et mes parents payeraient pour rien. Enfin bref, j'ai mal. J'ai vraiment mal et je donnerais tout ce que j'ai pour que ça s'arrête et que cette hypersensibilité au son disparaisse et me laisse enfin en paix. Et aussi pour arrêter de trop penser. Parce que trop réfléchir donnait encore plus d'intensité à mon mal de crâne ce qui me faisait réfléchir encore plus. 

 

Comme sur ma discussion d'hier avec Harry, par exemple. Elle tournait en boucle dans ma tête depuis la veille. J'avais sincèrement parlé de ça avec lui ? Mon vertige, mon attirance pour le train... Se sentir vivant. Je ne me suis jamais sentis vivant. Je sais pas, pour moi, le cœur qui bat, le souffle qui s'accélère, tout ça est automatique. Nous sommes des automates. Les mêmes gestes imperceptibles, dirigés par notre subconscient, cette partie du cerveau que l'on n'arrive pas à utiliser pour nos capacités. Je ne me suis jamais concentré là-dessus tout simplement parce que je n'ai jamais considéré ça comme important. « Se sentir vivant » se résumait à quoi, au final ? Si c'était à ça, autant que je reste comme je suis maintenant. Que je me contente uniquement d'exister. De suivre la voie qu'on m'a choisie, qu'on m'a fournie à la naissance. Ne décevoir personne, mais ne pas leur donner trop d'espoirs non plus. Peut-être se marier, au moins se mettre en couple par obligation, faire des enfants par obligation. D'ailleurs, y'a pas d'amour vrai, l'amour n'est qu'une hormone crée par le cycle de la vie, celui qui souhaitait que l'on se reproduise et que l'on prenne soin du fruit de nos entrailles jusqu'à ce que celui-ci soit assez robuste pour, à son tour, vivre sa vie et se reproduire lui-même. Bien sûr, il y avait des exceptions mais, biologiquement parlant, ce n'était que des « bugs ». 

 

Je ne dit pas que les homosexuels ou asexuels sont des rébus de la nature. L'être humain est un être évolué - bien que très con, dans un autre point de vue - , alors évidemment, il arrive à changer l'équilibre de la nature et à étirer ses capacités. Ainsi, il peut étendre son attirance sexuelle vers la personne du même sexe que lui, ou la contenir en lui et la faire disparaître ; mais, encore une fois, tout ça est fait sans que l'on ne s'aperçoive de quoi que ce soit. D'ailleurs, je ne sais pas trop ce que je suis moi-même : je n'ai jamais été attiré sexuellement par personne, mais je ne me considérais pas non plus comme asexuel parce que ... Eh bien ... J'ai fais quelques petits trucs, comme tout le monde, et j'ai trouvé ça assez agréable. Et, putain, je viens de passer de « se sentir vivant » à « je suis un mec normal qui se branle et qui aime ça ». Il fallait vraiment me faire taire, des fois. Silence. S-I-L-E-N-C-E. Et puis son sourire là. Dans l'amphithéâtre, il me sourit comme si on était potes depuis toujours et ça m'énerve. C'est pas parce qu'on a parlé de quelque chose de peu commun qu'on est devenus potes. Il me gave toujours autant, et son sourire aussi, et sa façon de penser aussi. Tout de lui me gavait et le bruit encore plus. Le bruit. De l'extérieur et de l'intérieur. Faites moi taire putain, faites moi taire, faites les tous taire. 

 

Je m'installe sur les bancs du premier rang. On pourrait croire que je me mettrais tout au fond, mais non. C'est une stratégie pour avoir moins de bruits. Tout au fond, tu as toutes les conversations des gens devant toi qui reculent, reculent jusqu'à t'exploser les tympans. Les chuchotements sont pires que les paroles normales, en réalité. Ils sifflent dans l'air et claquent comme des fouets. Les chuchotements ne sont bons que lorsque j'ai une crise, le reste du temps ils m'insupportent et sont encore plus douloureux que les voix normales. Alors je me mets devant. Devant, il n'y a que la voix du prof, souvent calme, posée, juste assez élevée pour que tout le monde l'entende, y compris les gens au fond qui causent entre eux. Je me sens mieux, devant. J'ai toujours mal à la tête, mais l'idée de ne pas recevoir tous les chuchotements de la salle me détend un peu. J'essaie d'ignorer le regard d'Harry sur moi, un peu déçu, un peu tristounet aussi. Un chaton. Il me fait penser à chaton avec cette mine attristée et il faut vraiment que j'arrête de le comparer à un chaton car je vais finir par craquer et lui faire gouzi-gouzi sur le ventre après et ce sera très humiliant pour moi. 

 

Oui je trouve les chats très mignons. Problème ? Aucun ? Bien. 

 

J'ai mal. J'ai vraiment mal. Le concert de rock a fait place à un concert de métal et l'orchestre fait vibrer tous ses instruments à corde. Je passe l'heure à me masser la tempe en grommelant dans ma barbe que la vie est injuste et que je voudrais m'arracher le cerveau pour qu'il arrête de taper contre les parois de mon crâne. Je fixe l'horloge et j'ai l'impression que son tic-tac incessant allait finir par faire exploser ma tête, répandant ma cervelle partout sur le banc, le tableau et les beaux vêtements du prof. Heureusement que les sonneries n'existaient plus en fac, sinon je n'aurais vraiment mais vraiment pas tenu jusqu'à la fin du cours. Une fois qu'il nous eut donné les devoirs pour demain, le prof nous lâcha enfin et je demandais aux personnes autour de moi si elles n'avaient pas un médicament pour le mal de tête. Encore un. Heureusement que mon corps s'était habitué aux fortes doses de paracétamol, sinon j'aurais eu de graves problèmes de santé depuis longtemps. 

 

Un des miraculeux cachet apparut sous mes yeux comme par magie, tenu par des doigts longs, fins et remplis de bagues. Je relevais mon regard vers la personne et... Évidemment. Harry. J'avais l'impression d'être dans un mauvais roman, où les deux personnages principaux se croisaient et se recroisaient sans arrêt pour qu'ils aient une bonne raison de tomber amoureux l'un de l'autre. Je marmonnais un « merci » entre mes lèvres et pris le cachet avant de me diriger jusqu'aux toilettes. J'avalais le médicament et un peu d'eau avant de m'adosser au lavabo dans un long soupir et un énième massage de la tempe, comme si ça allait permettre au médicament d'agir plus rapidement. « Louis ? Ca va ? » J'adresse un regard en coin à Harry qui vient juste de rentrer dans les toilettes. « J'ai l'air d'aller bien ? » Ok, c'était vraiment pas le moment de me faire chier là. Et ok, j'étais peut-être un peu dur avec lui.

 

Mais là tout de suite, j'm'en branle complet. Je m'excuserais plus tard. 

 

Et le pire c'est qu'il sourit comme un con. Mais il se fout de ma gueule ou quoi ? Bon, Louis, reste calme. J'ai mal putain. « Tu es beaucoup trop tendu. » Tu m'étonnes que je suis tendu, j'ai légèrement une bombe à retardement dans la tête. Il se glisse derrière moi sous mon regard suspicieux et pose ses mains sur mes épaules. Je me crispe un peu, mais il commence à me masser doucement alors je me détends. Hm, il est doué de ses mains, il fallait l'avouer. Étrangement, ça ne m'étonnait pas de lui, il a sûrement déjà dû faire des millions de massages à tous ceux qui en avaient besoin. Je fermais les yeux, me laissant aller à la sensation de sa peau sur la mienne, passant de mes épaules à la base de mon cou, puis à mon dos. Je me détendis au fur et à mesure, et lorsqu'il recula au bout de quelques minutes qui m'avaient semblées être une éternité, j'étais déjà beaucoup plus calme. Rouvrant les yeux, je tombais directement sur ses émeraudes et mon cœur loupa un battement.

Ok, restons calme.

« Merci Harry... » J'avais toujours mal à la tête, mais il me semblait lointain, comme si Harry avait réussis à l'éloigner avec ses doigts de fée. Je me raclais la gorge, sortant des toilettes. Il me suivit. « De rien. Tu devrais rentrer chez toi si tu as toujours aussi mal. » Je haussais les épaules et regardais ailleurs. « T'inquiète pas, ça va. » Je n'étais pas en train de mourir non plus, même si j'en avais la désagréable impression. Il me fixa un moment, un moment plus que gênant d'ailleurs, où il semblait m'étudier sous toutes les coutures, puis hocha simplement la tête avant de partir vers l'amphithéâtre. Je suivis un instant sa silhouette du regard avant de soupirer et de le suivre.

On ne se reparla pas de la journée et mon mal de tête disparut. 

 
 
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