« On va viser l'éternité
On est tellement bien ici
On va tout faire comme si
On était partis pour rester. » Francis Cabrel, Partis pour rester

 

« - Jessie, vient ici ! - Noooon ! Tu vas me faire mal ! - Mais n'importe quoi, arrête tes bêtises et revient dans la salle de bain ! - NOOOOOOOOOOOOOOON ! Louuuuuuuu ! » Elle se précipite dans ma chambre et me saute dessus. Soupirant, je glissais une main dans ses cheveux emmêlés pour la calmer. « - Jessie, tu sais bien qu'il faut te coiffer... - Mais pas avec Abygaëlle ! Elle tire toujours et ça fait mal ! » Je levais les yeux au ciel. Qu'est-ce que ça pouvait être chochotte, les gosses. Je glissais ma main dans la sienne, la guidant jusqu'à la salle de bain. L'ironie était que, hier, c'était moi qui tirait et elle voulait que ce soit Aby' qui la coiffe. Alors que la brosse glissait sur ses cheveux bruns emmêlés, Jessie se mordait la lèvre pour se retenir de pleurer. J'essayais de faire le plus doucement possible, vidant presque le démêlant sur sa tête, mais elle finit par craquer et sangloter doucement. Je détestais ce passage matinal, car faire mal à sa petite sœur n'était vraiment pas une partie de plaisir. Finalement, je vainquis les nœuds et elle sortit de la salle de bain en courant pour aller pleurer dans les jupes de Aby'.

 

Ah, les jeunes, je vous jure.

 

Je repartis dans ma chambre pour récupérer mon sac, accordant un regard à mon réveil. Merde, j'étais en retard. Soupirant, je descendis les escaliers et ouvris la porte, m'apprêtant à sortir lorsque Aby' m'interpella. Je me retournais pour faire face à ses pupilles vertes, encadrées par deux mèches rousses rebelles. Elle me glissa de l'argent dans la main, les sourcils froncés. « - C'est toi qui peut prendre un truc à la cafet', aujourd'hui. » Je soupirais. « - Aby', c'est pas la peine, je mange rien le midi, tu peux les prendre... - Nan. Mange un truc. Tu es aussi pâle que la mort Lou', sérieux, on dirait que tu t'es fais mordre par un zombie. » Je souris légèrement. « - Je suis toujours pâle, Aby', c'est la couleur de ma peau. Mais merci de sous-entendre que je suis moche. - Roooh mais j'ai pas dis ça ! Allez, file, tu vas vraiment être en retard. Et mange un truc ! » Je levais les yeux au ciel alors qu'elle me poussait dehors. Je remis correctement mon sac sur mon épaule et me mit en route, regardant l'argent qui était toujours dans ma main. Qu'est-ce que j'allais pouvoir en faire ? Car il était évident que je ne les utiliserais pas pour m'acheter un truc ce midi.

 

J'avais un petit estomac et je n'avais jamais faim le midi, moi.

 

*

 

« Tu ne joues pas le suicidaire, aujourd'hui ? » Je refermais la porte du toit, souriant en le voyant sursauter. Il y avait, parfois, des choses que l'on faisait sans en expliquer la raison ; des paroles dites sans réfléchir ; des gestes irréfléchis. Je ne savais pas pourquoi j'étais monté ici. Je l'avais juste vu d'en bas, apercevant simplement ses bouclettes, et j'avais eu envie de le rejoindre. Alors, je suis monté le plus silencieusement possible pour le retrouver le nez plongé dans un livre. Je m'étais dis, pendant un instant, qu'il fallait que je fasse demi-tour, que je le laisse tranquille, que je ne devais pas m'approcher de lui car il était beaucoup trop différent de moi et que je n'aimais pas ça. Mais au lieu de m'éloigner, j'avais fermé bruyamment la porte et je me retrouvais là, les yeux dans ses émeraudes, à me demander pourquoi je n'avais pas tracer mon chemin en l'ignorant royalement comme je l'aurais fais d'habitude. « Ce n'est pas pratique de lire au bord du vide, tu sais. » Un léger sourire s'inscrit sur mon visage alors que je m'installais à ses côtés sans même chercher à savoir ce qu'il lisait, me contentant simplement de regarder autour de moi.

 

« - "Je suis amoureux de toi et je ne suis pas du genre à me refuser le plaisir de dire des choses vraies. Je suis amoureux de toi et je sais que l'amour n'est qu'un cri dans le vide, que l'oubli est inévitable, que nous sommes tous condamnés, qu'un jour viendra où tout ce qu'on a fait retournera à la poussière, je sais aussi que le soleil avalera la seule terre que nous aurons jamais et je suis amoureux de toi." - C'est Nos Étoiles Contraires ça, non ? - Oui. C'est beau, tu ne trouves pas ? - Non, ça ne me fait rien. - Rien du tout ? - Non. Car ce n'est pas vrai. - Comment ça ? - Les phrases sont tournées de façon à plaire au lecteur. Ou plutôt à la lectrice. Toutes les filles rêveraient qu'on leur disent ça. Il apparaît de façon à ressembler à l'homme parfait. Moi, je préfère les déclarations bancales, qui ne veulent rien dire, mais qui viennent du cœur. - Tu es vraiment spécial. - Peut-être. Mais dit moi, tu es plus penché Hazel Grace ou Augustus Waters ? »

 

Cette question était sortie toute seule. J'écarquillais légèrement les yeux face à ma curiosité excessive et me raclais la gorge, mal à l'aise. Putain mais il m'arrivait quoi au juste ? « - Hazel est attirante, vraiment, et son humour parfois noir est sans failles. Mais Augustus a des pensées plus profondes peut-être... Quand il ne joue pas le mec parfait. » Il me jeta un sourire complice que je lui rendis en plus léger. Je sortis alors un sandwich de mon sac et le lui tendis : « Tiens, je suis sûr que tu n'as rien mangé. » Il me regarda un instant, surpris, puis le prit et croqua dedans. « Merci. » Je hochais simplement la tête, l'observant attentivement. Il y avait une drôle de lueur dans son regard, comme si il avait comprit le vrai sens de ma question et qu'il s'amusait de sa réponse qui ne m'avait absolument pas aidée. Je sortis un carnet et un stylo pour me mettre à écrire. C'était rapide, brouillon, les mots coulaient en vagues sur le papier, mais je m'en foutais : j'avais juste ressentis le besoin, d'un seul coup, de cracher des choses sans queues ni tête qui tournaient dans ma tête. On resta ainsi longtemps, lui lisant son livre et moi grattant les pages de mon carnet pour le remplir d'encre noire.

 

Il finit par refermer son livre et relever la tête vers moi. « Tu écris quoi ? » Je haussais vaguement les épaules, gêné. Je n'aimais pas montrer mes textes. Ils étaient une partie de moi, un petit morceau d'âme tombé entre deux pages : ils me ressemblaient. Ils étaient bordéliques, brouillons, mélangés, c'était des pensées qui ne se rejoignaient pas, des bouts d'idées perdues dans mon esprit que je devais absolument inscrire quelque part. « J'écris tout. » C'était vrai. Absolument tout, du nuage qui passe au chat perché sur le toit. Il hausse un sourcil intrigué puis sourit. « Tu ne veux pas me montrer, hein ? » Je plongeais mon regard dans le sien et secouais la tête, lui adressant un air désolé. Il haussa les épaules et rangea son livre avant de se redresser. « Bon, grouille, on a cours. » Je me redressais à mon tour et on descendit du toit ensemble, sans un mot.

 

Il n'y avait pas besoin de mots. Comme si une complicité s'était installée depuis longtemps et que les silences en disaient plus longs que toutes les phrases du monde. Effrayant.

 

*

 

17h. Je poussais un soupir de soulagement en me redressant sur ma chaise, m'étirant pour éloigner les courbatures après trois heures sans pause à rester assis sans bouger pour suivre un cours soporifique. Je commençais à ranger mes affaires lorsque mon regard se posa sur mon carnet. Je me mordillais la lèvre un instant, hésitant, avant de le sortir et de déchirer l'une des pages. Je mis mon sac sur mes épaules et courus après Harry, lui attrapant la manche et lui glissant la feuille dans les mains sans un mot. Je traçais ensuite mon chemin le plus rapidement possible pour être sûr qu'il ne m'interpelle pas lorsqu'il aura finit de lire. J'ouvris la porte de chez moi et un silence m'accueillit : Jessie était sûrement en train de jouer dans le jardin, sinon la télé serait en train de hurler un dessin animé débile. Aby' passa la tête à travers la porte de la cuisine : « - Looouuu ! Tu as passé une bonne journée ? Tu as bien acheté quelque chose à manger, n'est-ce pas ? » Je souris. « Oui oui, ne t'inquiète pas. » Et je n'avais pas à lui mentir, ce qui me soulageais.

 

*

 

« Vous avez déjà frôlé la mort, docteur ? » Aurore releva son regard vide vers son psychologue, même si elle ne le voyait pas vraiment. Il n'y avait que ses souvenirs en cet instant, le souvenir de sa petite mort, de celle qui l'avait retirée à elle-même. « Il y en a qui voit une lumière. Moi, j'ai sentis une odeur. Un mélange entêtant de violette et de cannelle... L'odeur de ma mère. » Elle rebaissa son regard sur sa robe qu'elle triturait nerveusement du bout de ses doigts. « Je déteste cette odeur, même si j'aime ma mère. » Un soupir passa la barrière de ses lèvres. « Je crois que c'est cette odeur qui a commencé à me dégoûter de la nourriture. Ou peut-être est-ce les miroirs. Je ne sais pas trop... » C'était difficile de parler de tout ça. Bien sûr, tout le monde savait son parcours, mais cela n'avait rien à voir avec le fait de le conter.

 

La déchéance n'est jamais une histoire qui se raconte, habituellement. On la garde pour nous.

 
 
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