« Heureux l'homme, occupé de l'éternel destin,
Qui, tel qu'un voyageur qui part de grand matin,
Se réveille, l'esprit rempli de rêverie,
Et, dès l'aube du jour, se met à lire et prie !
A mesure qu'il lit, le jour vient lentement
Et se fait dans son âme ainsi qu'au firmament.
Il voit distinctement, à cette clarté blême,
Des choses dans sa chambre et d'autres en lui-même ;
Tout dort dans la maison ; il est seul, il le croit ;
Et, cependant, fermant leur bouche de leur doigt,
Derrière lui, tandis que l'extase l'enivre,
Les anges souriants se penchent sur son livre. » - Victor Hugo, Heureux l'homme occupé

 

La joie bouillonne dans mes veines. C'est toujours comme ça, ça l'a toujours été. Moi, j'ai un joint incrusté dans le cerveau, tout le temps. J'ai pas besoin de me doper pour me sentir toujours heureux. C'est un peu con de sortir ça comme ça, on dirait que je suis un junkie. Peut-être un junkie de la joie, alors. Et puis au fond, tout ça, je m'en fous. Je suis joyeux, c'est tout. Y'a pas besoin de raisons. On ne devrait pas en avoir besoin. Qui a dit qu'on était obligé de se justifier quand on était heureux ? Ou malheureux ? Ou en colère ? Personne. C'est ça, être vivant. C'est ressentir les choses comme elles viennent, comme ça, par déclic. Parfois sans raisons. D'autres fois, c'est l'inverse, y'en a beaucoup trop et on sait pas lesquelles choisir. Alors moi, je dis qu'on a pas à se justifier pour ce que l'on ressent. Jamais. C'est sans doute pour ça que la question de Louis, hier, m'a perturbée. Et que je n'ai absolument pas envie d'y répondre sérieusement.

 

Pourquoi je suis aussi souriant ? Parce que j'ai envie de l'être. C'est tout simple. J'ai envie de distribuer cette joie tout autour de moi, la donner en cadeau, en bougie qui allume un peu l'obscurité. Un sourire, une lumière. Ça fait pétiller le regard des gens, surtout des enfants. C'est narcissique. En quoi ? Je comprends pas. Ce gars est tellement mystérieux. Tout mon contraire, aussi. Il fait tout le temps la gueule, il fuit dès qu'il y a trop de bruit. Il a une hypersensibilité au son, à ce qu'il paraît. Je crois qu'il a aussi une hypersensibilité aux nerfs parce qu'il est quand même vachement grognon. Et puis en fait, même pas. Parce qu'il rit souvent avec ses amis, il sourit aux enfants, en fait c'est un type normal qui arrive pas à me cadrer. C'est le seul mec dans cette fac qui ne m'aime pas. Je crois que c'est ce qui le rend différent des autres.

 

Sac sur mon dos, grand sourire accroché à mes lèvres, je pénétrais dans la cour de la fac. Tout le monde parlait, hurlait, se chamaillait. Un bruit quotidien qui me faisait vibrer, parce que cette cour débordait de vie. Avançant vers mon groupe d'amis, je leurs dis bonjour avec un grand sourire et des accolades. Puis mon regard tomba sur un petit groupe, éloigné des autres. Plus loin. Loin du bruit. Louis y était, évidemment, et il semblait parler avec entrain à un autre gars en face de lui. Il riait, aussi, même si je ne l'entendais pas. Puis il se retourna et nos regards se croisèrent. Longtemps. Je me figeais un instant. Même de loin, je voyais très bien ses beaux yeux bleus. Puis je me réveillai soudainement et lui fis un grand geste de la main en souriant débilement, ce qui lui fit lever les yeux au ciel. Je pouffai un peu puis revins à ma conversation jusqu'à la sonnerie indiquant le début des cours.

 

J'arrivai en dernier dans l’amphithéâtre. Je n'étais pas très pressé dans la vie, je veux toujours prendre mon temps, profiter de chaque pas. Je passe vraiment pour un con à dire ce genre de choses, comme quoi la vie est précieuse et qu'il faut profiter de chaque moment, de chaque souffle produit. Mais j'ai décidé de vivre comme ça, de penser comme ça, de croire en tout ça. C'est probablement pour me sentir mieux, pour avoir quelque chose à quoi se raccrocher. Certains diront même que je me crée ce genre de mensonges pour me voiler la face. Ouais mais voilà, j'en ai rien à foutre de ce que les autres pensent. Moi, j'aime la vie, tout simplement. Y'a pas d'études psychologiques à faire dessus, enfin, je ne crois pas.

 

Il restait une place à coté de Louis. Ah, ça pourrait être intéressant. Tout sourire, je me glissais jusqu'à ses cotés, et je crois que le Japon même a entendu le long soupir qu'il a eut lorsque je me suis installé. « - Tu ne m'aimes vraiment pas, hein ? - Si si, je suis même carrément amoureux de toi. » Je lui adressai un drôle de regard et il leva les yeux au ciel. Ah, c'était une sorte d'ironie. Je sortis mes affaires et commençai à noter le cours. Il y eut un long silence durant lequel chacun s'occupait de son coté, faisant sembler de s'intéresser à ce que disait le prof et à noter ses instructions. Puis, au bout d'une demie-heure de vide, je craquai et tournai la tête vers lui. « - Y'a un truc qui m'échappe. - Oh, crois moi, y'en a pas qu'un. - … Ta gueule. - Toi ta gueule. C'est toi qui a commencé à parler. » … Okay, pour la sympathie c'était pas encore ça. « - Bon, et je peux poser ma question ? - Je t'en prie. - Tu dis que je suis narcissique. Mais nous le sommes tous. - Je n'ai pas dis que je ne l'étais pas. - Tu n'as pas dis que tu l'étais non plus. - Et donc ? - Je dis simplement que c'est débile. Nous sommes tous narcissiques. Parce que nous aimons tous la vie. Ne serait-ce qu'un peu. - … T'es encore plus con que je ne le pensais. - Monsieur Tomlinson, monsieur Styles, je ne vous dérange pas j'espère ? » On redressa la tête d'un seul geste. On avait peut-être parler un peu trop fort. Baissant mon regard vers mon cahier, presque intimidé par le regard que le prof me lançait, je marmonnais un « Désolé, monsieur. - Ouais, désolé... » On n'a pas reparlé jusqu'à la fin de l'heure. Non pas parce qu'on s'est fait engueuler, mais parce qu'on n'avait plus rien à se dire, simplement.

 

*

 

Les heures passent, on ne se revoit plus. On s'ignore. Je crois que ça me fait drôle, d'être ignoré par quelqu'un. J'ai l'habitude qu'on me remarque, qu'on voit mon sourire con et qu'on sourit en retour. J'ai rarement connu la froideur. Bien sûr, tout le monde ne comprenait pas ma façon de penser, ne l’adhérait pas non plus mais dans l'ensemble, ces personnes-là ignoraient cette partie de moi et me trouvaient sympa. Lui, c'était différent. Je l'insupportais. Il fallait être aveugle pour ne pas le remarquer. Comme si tout de moi lui sortait par les yeux. Je crois que rien que mon sourire lui donnait envie de changer de fac. Cette façon qu'il avait de me détester me dérangeait. Nan mais vraiment, qu'est-ce que je lui avais fais pour qu'il réagisse de cette façon ? Je ne crois pas être une mauvaise personne, au contraire, j'essaie de faire du mieux possible pour plaire aux autres et à moi-même. Y'avait quoi de mal à ça ? Je ne sais pas. Je ne sais rien. Il me perd et je ne sais même pas pourquoi il y arrive. Ça ne devrait pas m'atteindre.

 

Je suis heureux avec ou sans lui, après tout.

 

Sonnerie de fins des cours. Je range mes affaires avec une lenteur calculée, je marche dans les couloirs sans me presser. J'ai tout mon temps. Moins il y a de monde, mieux c'est. Normalement, j'adore le brouhaha, l'entourage ; mais pour ce que je voulais faire, mieux valait que je sois seul, sinon il y risquait d'il y avoir une émeute. Je me dirige vers le bâtiment le plus éloigné du portail, grimpe les escaliers quatre à quatre. Monte sur le toit. Amen ! Les toits étaient mon endroit préféré. Un beau paysage, lointain... Et le vide. Si proche de mes pieds, le vide. J'étais pas suicidaire – évidemment pas, j'aime la vie, au cas où vous ne l'auriez toujours pas compris - , mais le vide... M'attirait. « - qu'est ce que tu fais là ?! » Je sursaute et baisse mon regard. Il est là, juste en bas, avec son regard bleu océan et... Inquiet ? On dirait. Je souris. « - je vis. - Sur le toit d'un bâtiment ?! - Justement. C'est ici que je me sens le plus vivant, grâce à la peur. Elle fait battre mon cœur plus vite, je le sens tambouriner contre ma poitrine, ma respiration est accélérée, les vertiges sont exaltants. La peur me rend vivant comme je ne l'ai jamais été, tu sais. » Silence. Il pousse un long soupir et entre dans le bâtiments assez rapidement, comme si il avait encore peur que je saute. Cette réaction m'amusait beaucoup, même si je me doutais bien qu'il ne voulait juste pas avoir la mort d'un camarade de classe sur la conscience.

 

Il s'avance et s'installe assez loin de moi, regardant l'horizon. « - Tu ne t'approches pas ? - J'ai le vertige. » Oh. « - D'ailleurs ce que tu fais là est pour moi une vision d'horreur.... Je trouve que ça n'a pas vraiment d'intérêt. Tu ne te sens pas plus vivant ou quoi que ce soit... Personnellement, je ne pourrais pas faire cela à cause des contradictions de réaction. La peur est là alors qu'elle ne devrait pas, alors elle t'empêche de voir que si tu levais un peu la tête, tu aurais l'essence même de ce que c'est d'être vivant... Il y a d'autres peurs qui te font sentir plus vivant que celle-là de mon point de vue, tout simplement. » Il m'en bouche un coin. Ou même deux. Je crois que c'est le seul gars de cette terre à pouvoir débattre sur la façon de créer la peur. « - Mais, à vrai dire, je me suis toujours demandé ce qu'il se passerait si je tombais sur la voie du train... - Pourquoi un train ? Ça ferait gicler le sang, c'est dégueu. - Avec la sensation de tomber sur le quai, de voir la conclusion arriver... Je ne sais pas trop pourquoi, peut-être parce que c'était la première chose que je voyais en me levant le matin. - Bha au moins tu ne souffres pas, tu te fais trancher net … Quoi que tu dois te péter le dos avec les rails. - Ouais, puis c'est chiant pour les conducteurs et les personnes qui doivent nettoyer. » Attendez. Stop. Je suis sincèrement en train de plaisanter sur le fait de se jeter sous un train avec Louis ? J'étais pas net je crois. Lui non plus de toute façon. Raaah, c'est juste trop bizarre, mais ça me plaît bien. On dirait qu'il m'apprécie un peu plus, qu'il est plus détendu aussi. Moins sur ses gardes. Peut-être est-ce parce qu'il n'y a plus grand monde, donc moins de bruits. Je ne sais pas. Je m'en fous, je profite simplement. « - Sinon, cette discussion nous a mené à quoi ? - A nous dire qu'on a besoin de la peur pour se sentir vivant. - Et à parler d'une façon de mourir. - Ouais, aussi. »

 

Je m'éloigne du vide et ramasse mon sac. Il me regarde sans un mot, mais son regard arrive à me perturber. Il est si bleu, comme un océan. J'ai l'impression qu'il va m'engloutir et que je n'aurais même pas le temps de hurler que je m'y noierais. C'est une métaphore assez sombre alors je toussote et redescends à l'intérieur du bâtiment. Il me suit toujours sans un mot et on se dirige vers la sortie dans un silence léger. J'adorais parler mais cette fois, je n'en ressentais pas le besoin. Sa présence juste me suffisait. Et en plus je savais que j'allais l'agacer si j'ouvrais la bouche alors mieux valait que je me taise. Une fois en dehors de la fac, j'ai le droit à un simple hochement de tête et à un « à demain » puis à un dos tourné. Je le suis du regard jusqu'à ce qu'il devienne un petit point noir dans l'horizon et je secoue la tête pour me réveiller. Woh, c'était quoi ça ?

 
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